La Cour des comptes épingle "le p’tit truc en plus" du dispositif CEE
« De plus en plus complexe », « des coûts de plus en plus importants » : le très attendu rapport de la Cour des comptes d’évaluation du dispositif des CEE était présenté hier en fin après-midi devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale1. Alors que les arbitrages pour la 6ème période du dispositif sont suspendus à la nomination du prochain Gouvernement, ce rapport pourrait donner du grain à moudre aux partisans d’une refonte d’ampleur du dispositif. Décryptage.
Un dispositif essentiel dont la souplesse dérange
Si les CEE sont un « dispositif atypique » note la Cour des comptes, le dispositif reste essentiel à l’atteinte des objectifs français d’efficacité énergétique prévus par la directive souligne-t-elle. Sur la période 2014-2020, le rapport rappelle que les CEE ont permis d’atteindre 114% des objectifs d’économies d’énergie imposés à la France. Leur rôle extrabudgétaire permet de compléter l’effort de la puissance publique, à hauteur de 6 Mds€ en 2022 et 4 Mds€ en 2023. Leur caractère règlementaire offre une agilité à répondre rapidement à une politique publique lorsque la situation l’exige. Ce fût le cas en 2022 au moment de rehausser rapidement le niveau d’obligation de la 5ème période lorsque la filière était au plus bas.
Pour autant, cette souplesse est dépeinte par la Cour des comptes comme le reflet d’un dispositif en manque de transparence et de régulation. Le dispositif des CEE ne bénéficie ni d’un régulateur, ni d’une chambre de compensation souligne le rapport. Résultat, en cas d’annulation de CEE, si l’entreprise fait défaut le risque n’est pas couvert. L’instabilité règlementaire du dispositif – près de 280 textes ont été publiés entre 2018 et 2023 note le rapport – est perçue par la Cour comme une source de fragilisation, en raison des aléas financiers qui en découlent pour la filière et de l’effet d’aubaine induit pour les fraudeurs suivants des logiques de court-terme. Enfin, son rôle extrabudgétaire peut-être perçu, non pas comme un moyen de compléter l’effort de la puissance publique, mais comme un moyen pour cette dernière d’échapper au contrôle parlementaire. Sur ce dernier point, il est probable que si les près de 600 millions d'euros de certificats liés à la fraude à la rénovation globale en cours d’instruction étaient des crédits budgétaires, l’affaire aurait pris une autre dimension.
Aménager le dispositif plutôt que le supprimer
A la demande la Commission des finances, la Cour des comptes a formulé plusieurs scénarii d’évolutions du dispositif en vue de la 6ème période (2026-2030) à destination des parlementaires. Le calendrier risque toutefois de jouer contre eux, la Cour soulignant la nécessité de les approfondir et alors que la prochaine période doit débuter dans maintenant 15 mois et que les règles du jeu auraient déjà dû être connues. Si le rapport ne privilégie aucun scénario en particulier, il présente ces scénarii comme ayant chacun leurs avantages et inconvénients :
- Scénario A : remplacer le dispositif par un fonds budgétaire. Alimenté par les mêmes fournisseurs d'énergie, ce fonds servirait à alimenter les crédits budgétaires alloués à l’efficacité énergétique, avec le risque toutefois d’une requalification en aide d’Etat – proscrite par la Commission européenne.
- Scénario B : recentrer le dispositif sur la seule rénovation énergétique auprès des ménages précaires. Le risque étant qu’en se concentrant sur un seul secteur, et sur un seul segment de la population, la réduction de la consommation d’énergie dans les autres secteurs n’avance pas assez vite.
- Scénario C : recentrer le dispositif sur les seuls bénéficiaires « professionnels ». Un scénario qui toutefois mettrait à mal les efforts réalisés jusqu’à présent pour adresser le marché diffus et compromettrait les objectifs de la directive européenne qui prévoit de redoubler d’efforts dans la lutte contre la précarité énergétique.
- Scénario D : transformer les CEE en certificats d’économies carbone. Une piste déjà explorée par l’ADEME en 2021 mais qui accentuerait la complexité du dispositif et créerait un risque de cumul avec le futur ETS-2 applicable aux secteurs du transport et des bâtiments.
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La réponse anticipée de la DGEC aux observations de la Cour des comptes
Hasard du calendrier, la DGEC dévoilait lundi, veille de présentation du rapport en Commission des finances de l’Assemblée nationale, son traditionnel appel à programmes CEE pour l’année 2024. Un AAP dont l’axe n°1, consacré à l’évaluation du dispositif et l’amélioration de sa transparence, résonne comme une réponse aux critiques formulées par la Cour :
• Le rapport critique le manque de transparence du COPIL CEE ? Le programme retenu d’évaluation du dispositif devra justement rédiger un règlement du COPIL.
• Le rapport propose de renforcer les études de gisements ? Le programme retenu visera justement à estimer les gisements exploratoires liés au dispositif et leur niveau d’exploitation.
Ironie du sort, cette réponse de la DGEC prend la forme d’un programme CEE, dont la Cour des comptes propose justement… la disparition.
[1] Les Certificats d’économies d’énergie : un dispositif à réformer car complexe et coûteux pour des résultats incertains, Communication de la Cour des comptes à la Commission des finances, juillet 2024.